PROF DE LETTRES EN 30 MINUTES ?
Les innovations RH de l’académie de Dijon vont-elles faire tache d’huile ?
02/06/2025
Image tirée du site web « Actu Dijon »
Patrick CHIRAC (alias Franck Dubosc), « Camping », 2006.
Dijon est pourtant une très belle ville qui mérite qu’on s’y arrête mais les nouvelles qui nous en viennent récemment nous inquiètent au plus haut point ! D’après des articles de Télérama et du site web « Actu Dijon » l’académie de Dijon semble avoir trouvé un remède à la pénurie de professeurs de Lettres. Désormais la porte sera grande ouverte aux collègues d’autres matières souhaitant enseigner cette discipline (qui, comme chacun sait, s’enseigne sans études particulières ni formation spécifique). Il suffira désormais d’une petite attestation délivrée par l’inspection pour devenir professeur de Lettres.
Cette possibilité n’est pas entièrement nouvelle, les détachements d’une discipline à l’autre, à la demande de collègues parfois lassés de leur discipline de formation ou souhaitant simplement s’ouvrir à autre chose, étaient déjà possibles. Tant que cela consistait en une formation de qualité, avec accompagnement des corps d’inspection et passation du concours ad hoc cela pouvait s’entendre. On pouvait aussi présenter simplement le concours interne dans la discipline souhaitée. Mais cela restait un phénomène marginal.
C’est une nouvelle étape, plus structurelle et donc encore plus grave, que les jobs dating de sinistre mémoire dont la presse s’était fait l’écho il y a peu, notamment dans l’académie de Versailles que nous sommes désormais en train de voir à l’oeuvre. On marche à pas cadencés vers une standardisation du métier enseignant, niant les spécificités disciplinaires et ne tenant compte que de logiques comptables axées sur un politique de management RH complétement déconnectées du terrain et du réel. Aux résultats plus que mitigés voire ridicules… (rappelons d’ailleurs que de nombreux collègues titulaires, agrégés, avec parfois beaucoup de points, n’arrivent toujours pas à avoir des postes en lycée dans cette académie…et ailleurs ! Nous connaissons des exemples au sein même de notre syndicat…). Une logique ubuesque… et qui abaissera une nouvelle fois la qualité de l’enseignement pour nos élèves !
L’académie de Dijon joue donc les bons élèves de « l’innovation RH » et ce dès la rentrée 2026 ! Trente minutes d’entretien suffiront donc pour devenir professeur de Lettres via une « attestation de validation de compétences ». Les vieilles lunes du ministère : bivalence, adaptabilité, souplesse, modernisation… sont de retour. Nous souhaitons bien du courage aux collègues qui enseignent déjà plus de deux disciplines (Histoire-Géographie sans compter l’EMC, rappel ci-dessous de notre communication de l’an passé toujours d’actualité…, ceux exerçant en Sciences …). L’exemple de Dijon donnera-t-il des idées à d’autres académies ? Quid de nos académies de la région AURA ? (et notamment ici à Lyon ? )… Et après les Lettres quelle nouvelle discipline sera la proie de ces nouveaux apprentis sorciers de la gestion RH ?
Notre syndicat « Action et Démocratie CFE-CGC » région AURA réaffirme sa volonté de respecter le caractère disciplinaire de la formation et de la pratique des enseignants. N’importe qui ne peut faire n’importe quoi comme le pensent ou cherchent à le faire croire certains de nos dirigeants. Les professeurs d’Histoire-Géographie se chargeront bientôt à ce rythme de géologie ou de volcanisme en lorgnant les heures de Sciences au titre de leurs compétences de géographes, ceux de Lettres chercheront à récupérer des heures d’Histoire en arguant de leurs connaissances en histoire de la littérature, ceux de Sciences voudront faire de la Géographie car ils sont de fins connaisseurs des « questions vives » autour de l’eau et du développement durable etc….. On pourrait multiplier les exemples à foison. Seuls les enseignants de la voie professionnelle sont véritablement aptes à mettre en œuvre cette bi ou trivalence disciplinaire… Ils ont passé un concours en ce sens, un CAPLP leur donnant le droit d’enseigner ces différentes matières (même si depuis quelques années on voit passer, aussi en collège, des textes pour permettre, par exemple, à des collègues titulaires des concours de Technologie, de SVT et de Physique-Chimie d’enseigner chacune de ces matières…).
Ces pratiques managériales complètement hors-sol et néfastes, tant pour les collègues que les élèves sont à mettre au panier. Et vite ! Le CAPES (et a fortiori l’agrégation) valide une expertise et une maîtrise disciplinaire, socle indispensable à un enseignement de qualité pour tous les élèves de France.
Sur un thème proche nous avions publié l’an dernier ce texte sur le cas de l’EMC et de l’Histoire-Géographie (voir ci-dessous). Cela reste (en grande partie) d’actualité….
REJOIGNEZ « ACTION ET DÉMOCRATIE CFE-CGC » POUR RELEVER LA TÊTE ET DÉFENDRE NOTRE ÉCOLE !
CONTACTS
Un mail à la section académique : actionetdemocratieaura@gmail.com ou un appel au 06 25 72 46 36 (journée de permanence le jeudi).
Cédric BIEL, professeur d’Histoire-Géographie-EMC en collège, président académique du syndicat « Action et Démocratie CFE-CGC Lyon et Clermont ».
cbiel.actionetdemocratie@gmail.com
OU un mail à la section académique : actionetdemocratieaura@gmail.com ou un appel au 06 25 72 46 36 (journée de permanence le jeudi).
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EMC en collège : Qui ? Combien ? Et pour quoi faire ?
Profs d’Histoire-géo : hérauts, héros….ou zéros ?
29/01/2024
« Courbe-toi, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».
Grégoire de Tours, « Histoire des Francs », VIe siècle.
Des mesures inefficaces et potentiellement nocives pour tous, élèves comme personnels, sont annoncées pour le collège à la rentrée prochaine à grands renforts de médias, plus ou moins complaisants, et parfois peu soucieux d’aller au fond des choses et au-delà des « éléments de langage » du gouvernement. Tout n’est pas à jeter au panier certes mais par exemple les « groupes de niveaux » sont clairement à remiser au rebut des « choses ni faites ni à faire ». Cette mesure va casser les groupes « classe », ne rien apporter aux élèves et alourdir considérablement la charge de travail puis pousser au « burn-out » les collègues de Français et de Mathématiques.
Mais les collègues des autres matières ne doivent pas pour autant s’estimer à l’abri. Déjà de sombres nuages s’annonçent pour les collègues d’Arts Plastiques et de Musique, menacés de mutualiser leurs heures ( à moyens constants ?) avec le Théâtre et l’Histoire des Arts… (cf le discours de Mme Oudéa-Castéra aux recteurs il y a quelques jours…). Tous subiront les conséquences de la « réforme » par ricochet : pertes potentielles de groupes en Sciences et en Langues, menaces sur la pérennité des options qu’ils animent, emplois du temps à trous, risque de perdre leurs salles attitrées… Pour certaines disciplines la menace va porter sur l’essence même de leur enseignement car le diable se cache souvent dans les détails…
Il n’y a pas si longtemps, quelques mois voire quelques semaines, les professeurs d’Histoire-Géographie étaient célébrés dans les médias, mis en avant par nos dirigeants politiques, remerciés par la population pour leur travail et leur opiniâtreté à défendre les grands principes républicains. Et au premier rang la laïcité. Mais ces derniers jours la donne semble avoir changée. Et pour paraphraser Grégoire de Tours citant Saint Rémi baptisant Clovis le gouvernement semble vouloir brûler ce qu’il avait auparavant (hypocritement ?) adoré…
Ils étaient présentés comme les hérauts de la République, l’avant-garde de potentiels nouveaux « hussards noirs de la République » par qui la jeunesse du pays, notamment au collège, serait éclairée par l’Histoire mais surtout la Raison. Parfois même ils étaient considérés comme des héros, notamment lorsqu’ils étaient menacés en raison de leur capacité à enseigner, malgré un contexte délétère, les complexités de l’Histoire et la permanence des principes républicains. Le terme apparaissant bien entendu trop fort, à part dans certaines configurations bien particulières. La figure de notre collègue Samuel Paty en constituant la marque la plus éclatante jusqu’à en devenir un symbole qui nous oblige. Qui en effet aura su, mieux que Samuel, montrer autant de sérieux, de rigueur mais aussi de courage dans la situation dramatique et injuste à laquelle il a été confronté dans les dernières journées de sa vie ?
Les professeurs d’Histoire-Géographie sont ainsi récemment devenus des cibles concrètes comme le montrent l’assassinat de Samuel Paty certes mais aussi les circonstances et le déroulé du meurtre de Dominique Bernard. Parallèlement, ils sont chargés implicitement et parfois de manière explicite par le pouvoir d’être des « remparts » contre l’obscurantisme, des « hérauts » donc de la Liberté, de l’Égalité, de la Solidarité et de la Laïcité. Ils passent, on le voit, occasionnellement, lors d’évènements tragiques, à celui de « héros ». Cela en deviendrait risible si ce n’était si grave.
Et aujourd’hui qu’apprennent-ils au détour d’un discours de Gabriel Attal, nouveau Premier Ministre, lors d’un déplacement dans le Rhône il y a quelques jours ? Et bien qu’ils ne sont pas loin d’être devenus des « zéros » ! Notamment pour ceux travaillant en collège… Et que l’EMC (ou bien l’instruction civique on ne sait plus trop) sera bientôt déconnectée de leurs disciplines et que ces heures pourront désormais être assurées par n’importe quel enseignant, voire par des intervenants extérieurs. Cet horaire serait d’ailleurs doublé (mais sans que l’on sache par quelle poudre magique ni plus cyniquement en s’attaquant à quelle(s) autre(s) disciplines…). Violence de l’annonce réservée aux médias, surprise mortifère pour commencer le week-end, sentiment d’avoir assuré ces cours depuis des décennies en collège pour rien….
Encore plus récemment notre nouvelle ministre reprenait le sujet dans un discours devant les recteurs en annonçant une profonde refonte de la matière « EMC »… Car celle-ci, si importante, serait « diluée » dans les cours d’Histoire-Géographie, peu « incarnée », pas assez « vivante »…. Rappelons que les seuls enseignants formés, un tant soit peu longuement et de manière récurrente, à cet enseignement sont les professeurs d’Histoire-géographie dans le cadre de leur formation initiale et continue. Ils y sont naturellement préparés par leurs études et l’exercice quotidien de leurs cours ainsi que par la fréquentation assidue des sources. On n’oubliera pas de préciser que cet enseignement est évalué en fin de collège dans le cadre de l’épreuve d’Histoire-Géographie-EMC. Et que le lycée (où certains cours d’EMC sont assurés par d’autres, ce qui d’ailleurs est sujet à débat) ne saurait se confondre avec les enjeux et problématiques du collège.
Que cherche donc à faire notre gouvernement ? Est-ce une logique comptable ? (jouer sur les postes, permettre à l’EMC de devenir une variable d’ajustement des DHG lors des ajustements entre équipes disciplinaires, externaliser ces heures à des intervenants extérieurs…) Est-ce un nouveau volet de gestion RH ? (accentuer la concurrence entre les matières pour les heures, diviser pour mieux régner et amplifier le poids des pratiques managériales dans les établissements ? soumettre ces heures à d’éventuels « projeeeeets » avec nécessité de « reporting » final ?)
Le risque est d’arriver à des heures de cours réduites à du bricolage, attribuées dans le cadre de « projets bidons » basées sur des « heures de rien » ou pour combler les services de collègue en sous-service dans leur discipline (et pas forcément volontaires tant la matière est complexe….et traite de sujets parfois « inflammables » !). Le tout dans une ambiance entre collègues pourrie par les rivalités, les peurs et la méfiance permanente.
Notre syndicat « Action et Démocratie CFE-CGC » région AURA réaffirme sa volonté de respecter le caractère disciplinaire de la formation et de la pratique des enseignants. N’importe qui ne peut faire n’importe quoi comme le pensent ou cherchent à le faire croire certains de nos dirigeants. Les professeurs d’Histoire-Géographie se chargeront bientôt à ce rythme de géologie ou de volcanisme en lorgnant les heures de Sciences au titre de leurs compétences de géographes, ceux de Lettres chercheront à récupérer des heures d’Histoire en arguant de leurs connaissances en histoire de la littérature, ceux de Sciences voudront faire de la Géographie car ils sont de fins connaisseurs des « questions vives » autour de l’eau et du développement durable etc….. On pourrait multiplier les exemples à foison.
N’ouvrons pas la boîte de Pandore qui accentuerait encore davantage l’École et ceux qui la font vivre. Respectons la formation et la spécificité de chacun, exigeons de vrais cours et non du bricolage et des actions de communications ! Le lycée est devenu une usine à gaz où chacun se lamente et ne reconnaît plus ses petits, n’étendons pas cette catastrophe au collège ! Cette question de l’EMC, tout comme celle des groupes de niveaux et la disparition du « groupe classe », pose clairement question et inquiète fortement les personnels.
La mode est à la destruction des disciplines (nos pauvres collègues de Technologie en font l’amère expérience avec la suppression pure et simple de leur discipline en 6e, notre syndicat l’avait déjà dénoncé avec force l’an passé). L’EMC et à travers cela, l’Histoire-géographie, est placée en ligne de mire aujourd’hui… Et demain à qui le tour ? Chacun doit bien comprendre qu’il s’agit là de choses pensées et préparées et que nul n’est à l’abri de voir sa discipline jetée à l’encan et bientôt vendue à la découpe.
Alors non à ces expériences fumeuses et potentiellement dangereuses dans leur mise en oeuvre ! Chers collègues d’Histoire-géographie de collège nous vous disons : « Ne lâchez rien ! ». Les collègues de Français et de Mathématiques sont clairement ciblés dans cette transformation du collège mais vous êtes clairement vous aussi en ligne de mire ! L’EMC c’est l’affaire des collègues d’Histoire-géographie : cela nécessite des acquis, des expériences passées, présentes tout comme des projections pour le futur. Cela se prépare et se construit depuis des années, c’est une lente infusion dont on tire des séquences et des cours muries par le temps et le retour d’expérience. Non au bricolage nocif pour les élèves, aux outils d’un management toxique et à la destruction des solidarités entre équipes pédagogiques.
Et si jamais on avait besoin d’un dernier exemple on se demandera qui va-t-on supplier d’intervenir dans les établissements quand survient un événement traumatique engageant les principes républicains, notamment en collège ? … d’organiser les réflexions puis de lancer des actions en urgence quand la plupart disent : « Non pas moi je ne sais pas » ou « Pas moi je le sens pas« …. L’actualité de ces dernières années nous l’a bien trop souvent montré. Comme chaque enseignant, les collègues d’Histoire-géographie ont de la mémoire.
Alors en « fiers Sicambres » mais aussi et surtout comme professionnels passionnés et investis ils n’acceptent pas cette gifle envisagée par le gouvernement. Chers collègues notre syndicat « Action et Démocratie CFE-CGC » région AURA vous soutient assurément dans cette posture. Au-delà de la seule question de l’EMC et des professeurs d’Histoire-Géographie chacun (quelque soit sa discipline) doit comprendre ce que porte en germe la mise en place d’un système où chacun pourrait enseigner en collège n’importe quelle discipline… Ce serait la légitimation de l’ensemble des discours qui visent à infuser le fait qu’enseigner ne nécessite pas une vraie formation et peut s’improviser sans problème. Après le renoncement aux compétences disciplinaires dans le recrutement et la mise en place des enseignements ce sera le renoncement aux compétences tout court…. et la poursuite à marche forcée de l’uberisation de la profession qui sera doublée, n’en doutez pas ! , de la « francetelecomisation » et de la clochardisation de nos professions !
Cédric BIEL, professeur d’Histoire-géographie-EMC en collège, président académique du syndicat « Action et Démocratie CFE-CGC Lyon/Clermont ».
cbiel.actionetdemocratie@gmail.com