LA COURSE DE L’ORIENTATION SELON MADAME BORNE
Jusqu’à l’épuisement ? Retour sur les propos de notre ministre…
06/05/2025
« Orienter, orienter », tel est l’un des nouveaux mantras de l’Éducation nationale, mis en pratique principalement au collège et au lycée, sans que cela ne suscite de grande opposition ne de réflexion approfondie. L’objectif semble en effet noble et incontestable, mais est-il si évident que cela ?
« Il faut se préparer très jeune, dès le départ, presque depuis la maternelle, à réfléchir à la façon dont on se projette dans une formation et dans un métier, demain. » Ces propos tenus par Elizabeth Borne sur LCP lundi 7 avril, ont fait parler d’eux, et à juste titre, puisqu’ils illustrent bien l’obsession pour l’orientation qui caractérise désormais notre système scolaire. Bien que la Ministre ait ensuite démenti vouloir orienter les élèves dès la petite section, ces paroles ont fort justement scandalisé (ou amusé, au choix) par leur caractère totalement démesuré.
Pourtant, plus le temps passe, et plus l’orientation des élèves prend une place importante dans le temps scolaire, comme si le principal rôle de l’école était désormais de servir de grande gare de triage pour le monde professionnel. Bien sûr, la formation de futurs travailleurs disposant des compétences nécessaires à leur insertion dans le monde de l’emploi est à juste titre l’une des missions de l’institution scolaire, comme le rappelle le Code de l’éducation dans son article premier : « Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. » Mais on notera que cet objectif n’est pas particulièrement mis en avant par rapport au « développement de la personnalité » ou encore à « l’exercice de la citoyenneté », sujets dont on parle beaucoup moins.
Pendant ce temps, la focalisation sur l’orientation prend de l’ampleur quasiment chaque année. Au lycée, la réforme Blanquer prévoit 54 heures annuelles dédiées à l’orientation au lycée général et technologique… sans prévoir de moyens horaires dans l’emploi du temps des élèves, soit dit en passant. Ces heures sont donc assez théoriques, mais leur mention incite les directions d’établissements à multiplier les actions autour de l’orientation pour justifier l’effectivité de la mesure. Au collège, la note de service du 23 mai 2023 prévoit qu’à la rentrée scolaire 2023, « tous les collèges s’engagent dans l’organisation de temps de découverte des métiers sur tout ou partie des niveaux concernés (5e, 4e, 3e) ». Autrement dit, dès l’âge de 12 ans, les élèves sont censés commencer à se positionner sur leur futur métier par le contact avec le monde professionnel.
Manifestement, tout ce travail d’orientation ne semble pas vraiment porter ses fruits… Au quotidien on peut constater que de plus en plus d’élèves arrivent en 2nde sans en avoir le niveau car ils n’arrivaient pas à choisir une filière professionnelle. Et même quand ils en choisissent une, au LP, la première année est encore une année d’orientation puisque l’on parle de « famille de métiers » qui les obligent à un nouveau choix à la fin de l’année de seconde.
Les élèves de Terminale, ayant pourtant une foule d’informations disponibles au CDI, sur Internet, lors de la venue d’anciens élèves au lycée, lors d’interventions des Psy-EN (ex- conseillers d’orientation) ou de rendez-vous avec eux, dans les salons étudiants… peinent souvent à définir leur projet d’études. Et même lorsque cette étape est passée, tout le monde n’y trouve pas son compte ; le nombre d’étudiants en réorientation est ainsi en hausse régulière : 169 000 en 2024 (+3,7 % par rapport à 2023).
Il faut dire que la manie orientatrice bute sur certaines réalités, qui rendent son échec inévitable, au moins dans les ambitions qu’elle s’est fixées. En premier lieu, le discours sur l’orientation repose sur le fait qu’il y aurait nécessairement un métier qui attendrait chaque jeune, et dans lequel il s’épanouirait, comme une âme sœur que le destin doit nécessairement mettre sur notre chemin. C’est oublier que les carrières sont aujourd’hui marquées par la discontinuité, que l’on peut très bien faire un métier quelques années puis en changer, les reconversions étant de plus en plus nombreuses et de plus en plus précoces. Même au LP, 2/3 des bacheliers (proportion moyenne, puisque les chiffres varient fortement entre les filières professionnelles) n’occupent déjà plus, seulement deux ans après l’obtention de leur diplôme, un emploi en conformité avec leur formation d’origine.
De plus, un collégien risque de passer encore entre 5 et 10 ans avant d’entrer sur le marché du travail. Or, selon France Stratégie, entre 2019 et 2030, on pourrait compter un million de nouveaux emplois, parmi lesquels une partie significative n’existe pas aujourd’hui. A l’inverse, se projeter dès le plus jeune âge dans certains métiers peut mener à des déceptions si le progrès technologique ou les évolutions économiques les rendent obsolètes…
Enfin, on peut se demander si le but de l’orientation est réellement de trouver une profession en particulier à exercer. Certains jeunes ont des vocations, un domaine qui les passionne et dans lequel ils voudront certainement exercer. Mais pour la majorité, il s’agit surtout de trouver un métier qui ait un sens, que l’on puisse exercer sereinement, dont on puisse être fier… Autrement dit, davantage que le métier, ce sont les conditions de travail qui sont essentielles. Combien de personnes sont dégoûtées de leur emploi car il est exercé dans des conditions qui rendent impossible l’atteinte des objectifs ? Ou parce qu’il se déroule dans un environnement toxique ? En témoigne notre « plus beau métier du monde » dont démissionnent chaque année de plus en plus de collègues. A l’inverse, beaucoup de professions peuvent intéresser les élèves si elles sont exercées convenablement. Mais poser cette question amènerait à remettre en cause la course infinie à la productivité, le pressurage des salariés pour améliorer la rentabilité des entreprises, la dégradation des services publics… Autant de questions que l’on préfère certainement ne pas voir posées ?
Colin MARTET, professeur de Sciences économiques et sociales en lycée. Avec l’aide de Cédric GILDAS, président AD/CFE-CGC Grenoble et professeur de Lettres/Histoire pour les ajouts sur le LP.
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