NOTE DE LECTURE
Audrey JOUGLA, De l’or dans la tête ! Repenser l’éducation pour réparer l’école, Double ponctuation, 2022.
Dans son dernier livre, « De l’or dans la tête » (Double Ponctuation), Audrey Jougla (professeur de Philosophie) décrit avec lucidité la « dérive » du système éducatif.
Baisse du niveau des élèves, déconsidération des enseignants, réformes cosmétiques… Un livre que nous avons aimé, et dont nous partageons la grande majorité (mais pas toutes) les préconisations. Il nous pousse à réfléchir sur les élèves d’aujourd’hui et à se confronter à la réflexion d’une nouvelle génération d’enseignants qui ne baisse pas les bras malgré l’ampleur de la tâche. A méditer sur ce que nous avons eu la chance de recevoir dans le passé et à ce que nous pouvons faire pour le transmettre aujourd’hui.
L’auteur évite les écueils d’une « Ecole du passé » fantasmée tout comme l’aveuglement idéologique du « progressisme » et du relativisme parfois inhérents aux « sciences de l’Education ». Pour résumer à grands traits le message du livre on pourrait mettre en exergue ces quelques mots : « Mensonge d’hier et d’aujourd’hui, rupture d’égalité entre les élèves, exigence salutaire pour demain ».
Mensonge de l’Ecole d’aujourd’hui qui n’érige pas en priorité absolue la maîtrise de la langue (la chute du nombre d’heures de français dès le plus jeune âge en constituant un symbole terrible). La situation s’aggravant par la suite au gré d’un train devenu fou que l’enseignant doit conduire comme il le peut (et sans escales possibles pour d’éventuelles « remédiations » : avènement des « cycles » et disparition du redoublement obligent).
« Nous sommes incités, nous professeurs, à toujours valoriser, même à l’excès, tous les élèves, et à ne pas forcément être juste et à révéler leur niveau réel » : l’enseignante regrette que la hiérarchie, l’excellence, le sens de l’effort et la sélection soient devenus « des gros mots ». « On nous incite toujours à la bienveillance, mais dans la vie et dans le monde professionnel ce n’est pas comme ça. » A force de mots creux, d’égalitarisme forcené, de manque d’ambitions et d’exigence, de conformisme aussi on laisse sur le bord du chemin un nombre de plus en plus conséquent de nos jeunes. Ils sont maintenus dans un système dont ils comprennent bien vite qu’il ne pousse pas à l’effort, qu’il sanctionne peu, qu’il cultive l’impunité mais aussi parfois l’injustice. Les différences entre ceux qui sont aidés en dehors de l’Ecole (famille, réseaux…) et les autres deviennent très vite abyssales et on assiste alors à la course « d’un train fou chargé de passagers qui n’ont pas de destination commune mais que les professeurs doivent conduire ». Car « on ne fait pas de vagues dans la grande maison de l’Éducation nationale. Il faut que tout le monde passe, que tout le monde ait 12, façon École des fans, que les parents soient contents, que le rectorat n’entende pas parler de nous. Il faut que les gamins aient leur examen en carton, leur orientation en pâte à modeler, ce qu’ils feront après, ce qu’ils auront gardé, ça ne nous concerne plus. »
Rupture d’égalité actuelle entre la majorité de notre jeunesse (et il ne s’agit pas ici seulement des zones dites « sensibles », ZEP ou autres zones violences… mais bien aussi de cette « France périphérique », de ces établissements ruraux ou/et situés dans des villes moyennes de province par exemple) et celle plus « privilégiée » dont la famille, le milieu social connaissent les codes, les réseaux, les possibilités de contournement du système éducatif actuel. Celle qui quitte très vite les wagons du train éducatif devenu fou pour aller étudier dans d’autres écoles, plus élitistes et souvent privées, gages de l’accès à la culture dite (par certains) « bourgeoise » et clé de la réussite sociale quoiqu’on en dise (hormis les miroirs aux alouettes habituels type footballeur professionnel, chanteur/chanteuse et désormais influenceurs sur les réseaux sociaux…).
Il ne faut pas (plus ?) se voiler la face : nous allons à vitesse effrénée vers un système à plusieurs vitesses. Pendant que certains sont inscrits dans des écoles où sont érigées (parfois à l’outrance) en vertus cardinales l’effort, l’exigence voire la compétition, où chaque élève (et sa famille) a conscience de son niveau et où la culture classique est enseignée sans mauvaise conscience… une autre, la plus nombreuse, se contemple passagère d’un long et ennuyeux voyage où l’on ne sait pas vraiment où on en est, où les intervenants et les « projets » se multiplient au détriment des disciplines proprement dites, où l’évaluation est floue, voire mensongère et variable selon les établissements. Une école où certains référentiels intègrent davantage de « compétences » liées aux savoir-être qu’aux savoirs et aux savoir-faire…. Peut-être même un jour apparaîtront des « savoir-savoir » ? … Cela permet d’organiser la grande « Ecole des fans » actuelle où chaque élève peut et doit réussir à coup de smileys et de gommettes de couleurs. Couplée au #pasdevague structurel et parfois au zèle de quelques collègues sincèrement convaincus de bien faire ou avides de prébendes octroyées par la hiérarchie pour leur « investissement » le cocktail s’avère détonnant et finira bien par nous sauter à la figure.
En attendant ce sont les jeunes à qui l’on ment pendant des années qui, privés de cadre et de repères, se fracassent sur le mur du réel lorsque se présente la grande faucheuse des rêves lycéens : la ci-devant Dame Parcoursup. Car à trop reculer le diagnostic, à empiler les cautères sur des jambes de bois (AP, groupes de remédiation…) il arrive néanmoins toujours. Plus tard, mais toujours. Ce n’est plus le collège ni même le lycée, c’est la réalité des études supérieures et/ou le monde de la vie professionnelle.
Exigence salutaire pour demain voilà en creux la préconisation de l’auteur et l’on ne pourra qu’y souscrire.
Audrey Jougla nous rappelle utilement que le développement de la pensée exige un cadre. Il ne s’agit pas de revenir à une fantasmée « Ecole d’avant » qui n’a jamais véritablement existé mais simplement d’affirmer que tout développement d’un enfant puis d’un adolescent doit s’inscrire dans un cadre. Si on se contente de parler du système éducatif il est évident que la perte de repères est évidente. L’enseignant et plus largement l’institution « Education nationale » n’apparaissent plus pour beaucoup de familles comme une « autorité » au sens noble du terme (il n’est pas question ici de parler d’autoritarisme et de sanctions à la schlag’ évidemment). L’horizontalité est de mise : tout est contestable, tout de suite et par tout le monde (élèves, parents, direction de l’établissement…), les enjeux de l’orientation post-bac accélérant encore les choses en fin de lycée (Parcoursup). De même on assiste à la fin du cadre collectif, l’individualisation devient la norme. L’exemple le plus édifiant étant la quasi-disparition de la notion de « classe » au lycée liée à la récente réforme Blanquer. Les enseignants sont alors placés en première ligne face à une multitude de demandes et de problématiques toutes différentes et parfois très complexes.
Evaluer moins mais mieux. Et surtout de manière honnête. L’ensemble des dernières réformes (collège puis lycée) illustre ces dérives : toujours plus de dispositifs, toujours moins d’importance aux disciplines, toujours moins d’exigence sur le fond… Et pour parler spécifiquement de la fin du lycée toujours plus d’évaluations pour orienter, pour diriger les « flux » … L’évaluation arrache alors son hideux masque mensonger entretenu depuis l’enfance pour devenir l’enjeu de toute une vie future… Le jeune déboussolé se retrouve, avec sa famille, à ne pas comprendre et encore plus fondé à réclamer des comptes à la figure la plus proche : l’enseignant.
Casser les préjugés des élèves entretenus par toute une société et l’avènement des réseaux sociaux (notamment Instagram et Tik Tok). Ne pas s’interdire d’aborder l’ensemble des sujets, refuser la tyrannie de l’émotion et y opposer systématiquement la Raison, lutter contre le relativisme et l’égalitarisme ambiant dans la société voire parfois l’institution. Cela s’avère être une lutte ingrate à mener pied à pied chaque jour mais c’est un service fondamental à rendre à nos élèves pour leur construction intellectuelle et plus globalement leur existence future.
Exigence aussi pour nous autres enseignants. Nous payer enfin de manière décente avec une hausse significative de nos traitements, eu égard à l’importance de notre mission. Maintenir un haut niveau de recrutement par le biais d’un concours exigeant afin de donner à la jeunesse les meilleurs professeurs possibles et ce sur l’ensemble du territoire. L’auteur note d’ailleurs, par l’étude des statistiques récentes, une certaine baisse du niveau des concours de recrutement et s’en inquiète fort justement. On ajoutera que le recours exponentiel à des personnels enseignants contractuels non diplômés (peu ou pas formés) , taillables et corvéables à merci par une administration souvent rivée sur les chiffres et les coûts, aggrave encore le problème. Audrey Jougla plaide aussi, point sur laquelle on ne la suivra pas (mais qui peut se comprendre au fil de sa démonstration), pour la possibilité d’inspections inopinées portant sur la réalité du métier en lieu et place du jeu de dupes actuel (et même plus ancien… l’ubuesque du système en la matière ne remontant pas à la mise en place du PPCR). On pourrait en effet l’imaginer mais cela serait oublier que l’inspection vise malheureusement souvent à vérifier la mise en place des dernières lubies pédagogiques en vogue au Ministère, cela pourrait aussi devenir un redoutable moyen de « management » au niveau local dans les mains de certains chefs d’établissement soucieux d’exercer un petit pouvoir de caporalisation dans leur établissement face à quelques esprits rebelles. Il est si facile de déstabiliser un enseignant aujourd’hui.
« Nous tenons les murs d’une maison qui s’effondre » écrit Audrey Jougla et elle a bien raison. Merci à elle pour cet ouvrage percutant et émouvant où une jeune collègue ne se résout pas à abdiquer, cherche à comprendre les maux dont l’institution souffre et propose des pistes de réflexions qui engagent au débat. Elle redonne de l’espoir à « Ceux du terrain » qui comme Maurice Genevoix l’écrivait de « Ceux de 14 » n’en peuvent plus, sont souvent résignés ou cherchent désormais à fuir l’Education Nationale, cette ancienne fierté française et républicaine. Merci à elle pour ceux qui, de tous bords politique, syndical ou idéologique, crient dans le désert ou/et sont découragés par des politiques qui s’en moquent, des médias qui ne s’y intéressent souvent qu’en en survolant les enjeux. Et, last but not least, une opinion publique qui ne comprend pas les mutations gravissimes récentes de l’Ecole et dont elle sent pourtant confusément que ses enfants en sont les principales victimes.
Qui de mieux, pour en parler, qu’Audrey Jougla elle-même ? Invitée sur France 3, son interview est disponible en libre accès sur YouTube (cliquez sur l’image) :
Et pour ceux qui veulent aller plus loin n’hésitez pas à écouter le podcast de l’intervention d’Audrey Jougla sur la radio France Bleu (cliquez sur le lien ci-dessous) :
lien interview Audrey Jougla France Bleu mars 2023