HOMMAGE SAMUEL PATY et DOMINIQUE BERNARD 14/10/2025

HOMMAGE SAMUEL PATY et DOMINIQUE BERNARD

La laïcité, ce trésor commun en ces temps troublés et incertains

14/10/2025

 

 

Hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard : le point de vue de Cédric BIEL, président académique AD/CFE-CGC Lyon et Clermont sur RMC info ce matin (cliquer sur l’image ci-dessus).

La laïcité, ce trésor commun en ces temps troublés et incertains. Quelques mots sur ce thème ci-dessous.

 

« […] Jusqu’au jour, que j’appelle de tous mes vœux, où la liberté complète d’enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu’à ce jour-là, je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’Église et non dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’État, par le clergé l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui […] ».

Victor Hugo, Discours à la Chambre des députés, 14 janvier 1850.

 

Nous avons besoin d’une École protégée des passions religieuses et politiques, d’un État qui garantisse le droit de croire ou de ne pas croire, le libre exercice des cultes dans le respect des lois, d’un État qui protège ses professeurs et l’ensemble de ses agents. Où tout un chacun peut, s’il le désire, aller voir un film sur le combat de Charlie Hebdo et son avocat Richard Malka sans constater que la salle est protégée par des policiers (expérience vécue par l’auteur à Lyon récemment) … ou simplement ne pas être dans l’impossibilité de le voir parce que les cinémas de la ville ont refusé de le diffuser par peur de dégradations ou pire…. (update : le film est enfin disponible sur la plateforme de streaming de Canal +, MyCanal ! ). Où les professeurs sont respectés, valorisés, et j’ose même le dire, AIMÉS ! Où ils ne sont plus la cible de menaces des extrémistes de tous bords, ni l’objet de belles paroles de nos dirigeants peu suivies d’effets. Je crois cela possible et voulu par la très grande majorité d’entre nous.

 

N’oublions jamais que la laïcité est une conquête (à l’histoire longue et mouvementée) et qu’il est donc fondamental de la préserver, de la défendre et de l’illustrer tous les jours. Et sans oublier qu’elle s’applique à TOUTES les religions. Les récents événements relayés dans les médias relatifs à l’enseignement privé nous rappellent qu’on ne doit pas focaliser notre regard sur une seule.

 

Aussi relisons le grand discours de Victor Hugo, alors député de la Seine, à la Chambre des députés en janvier 1850 que nous rappelait avec justesse Henri Pena-Ruiz dans Marianne récemment. En voici un extrait célèbre :

« […] Jusqu’au jour, que j’appelle de tous mes vœux, où la liberté complète d’enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu’à ce jour-là, je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’Église et non dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’État, par le clergé l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui […] ».

 

Oui définitivement laissons les religions (toutes les religions) chez elles et l’État (et singulièrement l’École) chez lui. Et laissons les enseignants travailler !

 

Au début des années 2000, ce thème n’intéressait personne. Plusieurs signaux inquiétants sont apparus ensuite, dénoncés par quelques courageux hurlant dans le désert. Rapport Obin, tribunes de professeurs de terrain… Le sujet était systématiquement enterré, voire mis au panier… quand les lanceurs d’alerte n’étaient pas traités de suppôts de l’extrême-droite. Et que dire des suites des attentats de « Charlie Hebdo » où nombre de « sachants » ont estimé que Charb, Tignous, Cabu and co devaient être tout de même un peu racistes pour s’emparer de ces questions….

 

Alors qu’est-ce que la laïcité ? Soyons honnête bien peu de personnes, même dans le corps enseignant… ce qui en dit long mais c’est un autre sujet, sont à l’aise avec ce principe et bien en peine de l’expliquer clairement même si, confusément, ils savent ce qu’il implique et ce qu’il garantit. Dans l’introduction de son livre « De la laïcité en France » Patrick Weil le dit clairement : « Les professeurs sont comme la majorité des Français, attachés à la laïcité, craignant pour son avenir, mais souvent incapables de la définir« … A titre personnel j’ai souvenir des réunions entre collègues suite à l’assassinat de Samuel Paty puis de Dominique Bernard et j’ai bien réalisé à quel point nous étions devenus hésitants, peu sûrs de nous mais aussi souvent terriblement seuls. Que faire ? Que dire ?… Souvent seulement quelques voix s’élevaient au milieu d’un silence mortifère, parfois même de l’abattement touchant parfois au découragement sur fond de peur et de sidération (en majorité des enseignants mais aussi parfois des personnels de direction, de vie scolaire, des administratifs…). Si je suis honnête cela était encore plus flagrant après le meurtre de Dominique Bernard à Arras… Triste et terrible constat… On le voit il est plus que temps de réagir et de ne plus rien laisser passer.

 

Oui la laïcité est un principe. Un principe et non une valeur (comme le sont la liberté, l’égalité et la fraternité). Il permet justement leur accomplissement.

 

Pourquoi ? Parce qu’il n’est finalement que la manifestation pleine et entière de la liberté de pensée. C’est la possibilité pour chacun d’avoir ses idées tout en acceptant de les mettre à distance (notamment en matière de religion et de politique) pour permettre le débat démocratique. C’est une arme contre le fanatisme qui permet à l’individu (et singulièrement à l’élève) d’utiliser sa Raison, de relativiser ses propres croyances, pour accepter la confrontation avec des opinions différentes. C’est enfin la possibilité pour chacun de n’être pas réduit ni enfermé dans une supposée « identité ». Elle permet la vie en société par-delà les différences de toutes sortes.

 

La laïcité ce n’est pas la simple neutralité de l’État au nom des libertés individuelles, ce n’est pas non plus repousser la religion dans la sphère privée. Ce n’est pas que l’affirmation simpliste de la « liberté de croire ou de ne pas croire »… En vérité, ce qui remonte du terrain c’est qu’elle « est perçue par trop d’élèves comme un catéchisme répétitif, vide de sens, voire comme un régime d’interdits discriminatoires. C’est-à-dire rien de ce qu’elle est » (Patrick Weil). Et pourtant…

 

C’est un principe positif et non restrictif. En vérité les seules limites à la laïcité (et donc à la liberté de pensée) sont celles des passions humaines qui mettent en péril l’ordre public. Il pose, certes dans un cadre, les conditions d’une totale liberté de pensée et c’est ce que l’on a trop oublié de rappeler dans nos enseignements.

 

Oui c’est bien l’École par le développement méthodique et progressif de la Raison chez l’élève, par l’enseignement du fait religieux, par la confiance et l’autorité qu’elle accorde à ses professeurs… qui doit ancrer dans l’esprit de notre jeunesse ce principe de laïcité.

 

C’est l’honneur de nos professions que d’accomplir cette tâche et il est plus que temps de soutenir fermement l’ensemble des personnels confrontés aux activistes, idiots utiles ou égarés qui soutiennent le contraire. Tout en n’étant pas « dupes de ceux qui, semblant découvrir opportunément une laïcité qu’ils haïssaient, s’en font les hérauts dans le but, à peine masqué, de stigmatiser l’islam et les musulmans ». Comme professeur d’histoire je ne puis que me reconnaître dans ces paroles de Natacha Polony dans un livre récent : « Notre histoire est marquée par des guerres de religion sanglantes et une bataille séculaire contre l’emprise du catholicisme […] Des cours d’histoire seraient nécessaires pour faire comprendre aux jeunes musulmans français que la laïcité n’a pas été édictée contre leur religion et que l’islam est traité avec mille fois plus d’égards que ne le fut le catholicisme au cours des deux derniers siècles ». Oui c’est par l’instruction et l’École que la Concorde pourra revenir et que les maux de la société s’apaiseront. N’oublions jamais que la laïcité est une conquête (à l’histoire longue et mouvementée) et qu’il est donc fondamental de la préserver, de la défendre et de l’illustrer tous les jours.

 

Comme vous tous aujourd’hui j’ai assisté à une minute de silence dans mon établissement. Cela a été un moment simple et digne et je m’en félicite. Ces instants redonnent de l’énergie et du courage pour avancer. Loin des extrêmes, des postures, des ambitions personnelles et des calculs à courte vue. En ce jour d’hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard, et malgré le marasme ambiant dans l’Éducation nationale, n’oublions pas le combat laïque ! Soyons dignes de ces personnages, ne les oublions pas ! 

 

Amitiés syndicales.

 

Cédric BIEL, professeur d’Histoire-Géographie-EMC en collège, président académique du syndicat « AD/CFE-CGC Lyon et Clermont ».

 cbiel.actionetdemocratie@gmail.com 

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